Eduard Leonov (Svoboda): "Ukrainians have been facing the threat of many losses, in all shapes and forms, for many decades (if not forever). In these conditions, Ukrainian people have been rescued by the valour of heroes, which puts them in the same category of heroes who sacrificed their lives at Krut, Bazar and UIA fighters. The "Heavenly Hundred" put an end to the existence of the criminal regime in Ukraine. "Heavenly Hundred" also united all people of Ukraine. Therefore, it is our duty is to commemorate, annually, these heroes". (Svoboda)
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Analyse | Le 28 février 2014, l’armée russe prenait le contrôle de la Crimée. Sous souveraineté ukrainienne, cette péninsule était de facto annexée à la Russie. L’événement met en évidence les caractéristiques du système russe. Ce régime autoritaire-patrimonial est l’expression d’une politique du ressentiment. Le révisionnisme géopolitique conduit à remettre en cause, par voie militaire, les frontières européennes. Au-delà, Vladimir Poutine veut reconstituer une force d’opposition à l’Occident qu’il menace d’une nouvelle guerre froide | Texte de la conférence prononcée par Jean-Sylvestre MONGRENIER, chercheur associé à l’Institut Thomas More, à l’Institut National des Langues Orientales (INALCO, Paris), le jeudi 13 mars 2014
Primitivement,
la crise politique ukrainienne était une insurrection civique, contre
un système de pouvoir corrompu, en pleine dérive autoritaire de
surcroît. Cependant, elle avait aussi un arrière-plan géopolitique,
d’abord relativisé ou réduit à des enjeux commerciaux. Le déploiement de
troupes russes en Crimée et la menace militaire sur les frontières
orientales de l’Ukraine ont déchiré le voile. Aussi les choses
doivent-elles être énoncées avec clarté : l’État russe a pris
possession, par la voie des armes, d’une partie du territoire ukrainien,
pour l’annexer. Le référendum du 16 mars 2014 n’est que l’habillage
prétendument juridique d’une politique du fait accompli.
D’une
importance majeure, l’événement n’est pas fortuit ou purement
contingent. On ne saurait assimiler ce qui se produit en Crimée à une
simple réaction à la mise en place d’un nouveau gouvernement à Kiev.
L’occupation militaire russe, avec des déploiements en avant des limites
administratives de la Crimée, a un sens profond : il a une
signification et il indique une direction. La prise de contrôle de la
péninsule ukrainienne révèle pleinement la nature du régime politique
russe, le révisionnisme géopolitique de ses dirigeants et la vision du
monde qui les anime. Elle appelle une réponse à la hauteur du défi russe
et des ambitions de Poutine.
| Un autoritarisme brutal
Le
régime politique russe relève de ce que les sciences politiques et la
sociologie historique nomment l’« autoritarisme patrimonial ». Ce type
de régime se caractérise par l’entremêlement du politique et de
l’économique, l’absence d’État de Droit, la confusion des pouvoirs et
l’importance de la relation « patron-client ». Un peu hâtivement, il a
été présenté comme la résurgence du vieux « système russe ». Les
politistes ont bien décrit les principales caractéristiques de
l’autoritarisme patrimonial mais le concept, trop académique et
statique, sous-estime les rémanences de la période 1917-1991 et les
aspects soviétoïdes de ce système. Certes, le rôle des « siloviki »,
ces hommes issus des « structures de force », a été abondamment
commenté l’analyses se concentrant toutefois sur les rivalités entre les
clans qui gravitent autour du Kremlin ; les luttes internes de pouvoir
absorbent de l’énergie et, pour l’observateur occidental, elles sont
finalement rassurantes. Dans la même veine, Vladimir Poutine a un temps
été décrit comme une sorte de « parrain », un point d’équilibre à
l’intersection des différents clans qui se disputent les rentes,
énergétiques et autres. La grande affaire de la Russie, assurait-on, ce
sont les affaires. In fine, le goût du lucre des dirigeants russes l’emporterait sur leur volonté de puissance.
Après la guerre russo-géorgienne d’août 2008, les idées et concepts qui sous-tendent la politique américano-occidentale du « reset »
s’inscrivent encore dans une approche de type utilitariste. L’Occident
aurait fait subir une pression trop forte à la Russie, cette pression
étant censée expliquer la réaction de Poutine sur le théâtre géorgien.
Dans son rapport à l’Occident, Poutine ne chercherait qu’à améliorer les
termes de l’échange, l’idée directrice étant de rehausser la place de
la Russie et son pouvoir de négociation, dans le cadre d’un grand
partenariat avec l’Occident. En procédant de manière incrémentale, au
moyen d’ajustements réciproques, il serait donc possible d’identifier
des intérêts communs suffisamment puissants pour dégager une plate-forme
de coopération. Leitmotiv et argument suprême et de cette
approche : Poutine serait un « pragmatique ». Schématiquement, nombre de
décideurs occidentaux ont pensé que la montée en puissance de la Chine
allait mécaniquement pousser la Russie à chercher des appuis en
Occident. Dès lors, il fallait formuler une offre suffisamment
attractive, tout en veillant à mieux associer la Russie à la résolution
d’un certain nombre de questions géopolitiques majeures (lutte contre la
prolifération et endiguement de l’Iran nucléaire ; théâtre afghan et
coopération contre le jihadisme planétaire).
D’une
manière générale, les composantes idéologiques du système de pouvoir,
la volonté de puissance et le binôme ressentiment-revanchisme ont été
insuffisamment pris en compte, l’approche utilitariste du régime
politique russe manquant son objet. Il eût fallu insister sur le code
mental des « siloviki », leur culture tchékiste du pouvoir et
les représentations géopolitiques à travers lesquelles ils pensent le
monde. Voir en Poutine une synthèse entre un chef mafieux et une sorte
de satrape – l’homme étant prétendu mû par les délices et les poisons du
pouvoir –, était erroné. Le président russe se veut le disciple et le
continuateur de Iouri Andropov, ambassadeur de Moscou lors de
l’insurrection de Budapest (1956), chef du KGB (1967-1982), puis
successeur de Brejnev dans les seize mois qui suivirent la mort de ce
dernier. Andropov est décrit comme un néostalinien, ce qualitatif
pouvant être appliqué à Poutine qui, par touches successives, a
largement réhabilité Staline. Bénéficiant d’une solide base de pouvoir,
Poutine poursuit méthodiquement, avec constance et opiniâtreté, ses
objectifs politiques. La méthode n’est en rien subtile, la référence au
jeu d’échecs relevant de la facilité, voire de la complaisance. Rude et
brutale, elle mêle la force, la ruse et le mensonge le plus éhonté. Son
efficacité n’est jamais que le miroir de l’Occident, de son aveuglement
et de sa pusillanimité. Dans certains segments des opinions publiques
occidentales, on remarquera aussi une forme de « schadenfreude » et de masochisme culturel.
| Révisionnisme et revanchisme
Si
l’on cherche les mots résumant l’idée-force qui anime la « grande
stratégie russe » conduite par Poutine, le but politique et ses
déclinaisons territoriales, les termes de « révisionnisme » et de «
revanchisme » s’imposent à l’esprit. Cela fait moins d’un quart de
siècle que la « Russie-Soviétie » a perdu la Guerre froide, ce qui est
peu à l’échelle de l’Histoire universelle. L’URSS s’est disloquée au
profit des républiques fédératives, les nationalités allogènes se sont
constituées en États nationaux et la Russie a retrouvé les frontières de
l’ancienne Moscovie, en conservant toutefois la Sibérie et
l’Extrême-Orient russe sous sa souveraineté. Animé par une volonté de
revanche, Poutine veut « réviser » le nouvel ordre des choses, plus
précisément le mettre à bas, pour repousser les frontières et
reconquérir les territoires revendiqués, dans ce que les dirigeants
russes nomment l’« étranger proche » (l’aire post-soviétique). Bref,
Poutine et les « siloviki » ont entrepris de faire de la Russie une
puissance révisionniste et un État perturbateur (l’amiral Castex
distinguait les « États conservateurs » des « États perturbateurs »). On
sait combien une telle entreprise peut être dangereuse pour la paix et
l’ordre international.
Après
des années de manipulation des conflits dits « gelés », en Moldavie et
dans le Sud-Caucase, l’invasion militaire russe de la Géorgie et
l’annexion de facto de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, en
août 2008, ont donné corps au projet révisionniste de Poutine. Avec
l’occupation militaire de la Crimée, dont l’appartenance à l’Ukraine est
reconnue au plan international, nous sommes sur d’autres rythmes –
moins de trois semaines entre la saisie militaires de la Crimée et
l’organisation d’un référendum – et sur un ordre de grandeur plus
important. A l’évidence, il ne s’agit pas là d’une gesticulation
militaire ou d’une prise de gage, pour préparer une négociation sur le
statut et le positionnement international de l’Ukraine. Dans cette
histoire, il faut manier le rasoir d’Occam et éliminer les scénarios
alambiqués des « docteurs Subtil » : l’État russe s’est emparé de la
Crimée et il entend la conserver. Poutine pourrait aller plus loin
encore. En effet, divers signes montrent que la Crimée n’est que la
première étape d’un plan plus large visant les régions orientales de
l’Ukraine, sa façade sur la mer Noire, avec une avancée jusqu’à la rive
gauche du Dniestr, aux dépens de la Moldavie (voir la question de la
Transnistrie, sous contrôle militaire russe depuis 1991). La réalisation
d’un tel plan dépendrait des circonstances et du niveau de réaction des
Occidentaux dans l’affaire de Crimée. Dans l’immédiat, Moscou a remis
en cause les frontières de l’Ukraine, et ce par la voie des armes. Le
fait que ces frontières soient internationalement reconnues explique
l’isolement de la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies.
La
menace militaire russe sur l’Ukraine et les manœuvres de
déstabilisation de ce pays ne cesseront pas avec le référendum illégal
organisé dans la péninsule de Crimée. Il faut aussi anticiper une
pression accrue en Géorgie et en Moldavie, deux pays ayant décidé de
signer un accord d’association et de libre-échange avec l’UE (Union
européenne). Si les solidarités géopolitiques européennes et
transatlantiques s’affaissaient, ce pourrait être ensuite des menaces
visant les États baltes. A quand la revendication d’un corridor russe à
travers la Lituanie, en direction de l’enclave russe de Kaliningrad
(l’ex-Königsberg) ? Déjà formulée au début de la décennie 2000, cette
revendication a été temporairement remisée, l’UE écartant fermement
cette exigence. Au plan tactique, Poutine joue sur les différences
d’approche des États européens et cultive les relations bilatérales. A
moyen terme, il « parie » sur le retrait américain depuis l’Europe – la
montée en puissance de la Chine et les défis de l’Asie-Pacifique sont
censés absorber les États-Unis –, et le délitement des instances
euro-atlantiques (UE et OTAN). La « Grande Europe » évoquée par la
diplomatie russe (voir le « plan Medvedev » présenté à Berlin, le 5 juin
2008) serait le retour aux alliances et contre-alliances entre États
européens. Dans une telle configuration, la Russie pourrait projeter sa
puissance et instrumentaliser l’un contre l’autre. In fine,
cela signifierait la fin du système de coopération euro-atlantique, un
système dont les parties prenantes s’interdisent le recours aux armes
pour régler leurs différends. Si le révisionnisme géopolitique et le
revanchisme de la Russie l’emportaient, ce serait un bouleversement
d’ensemble. La « paix perpétuelle » de Kant, fondée sur une fédération
de libres républiques dont l’UE et l’OTAN sont partiellement la
traduction géopolitique, volerait en éclats.
| La vision du monde de Moscou
Outre
la Crimée, l’attention apportée par le Kremlin à la totalité de
l’Ukraine est révélatrice des représentations géopolitiques globales qui
surplombent et inspirent la « grande stratégie » russe. Sommaire et
réducteur, l’argumentaire historique mis en avant à Moscou nie le fait
que l’héritage de Kiev (la Rus’ de Kiev) soit à Kiev. Réduite
dans le discours russe à la condition de « fantôme de l’Europe »,
l’Ukraine serait vouée à la domination russe. Elle devrait d’abord
rejoindre l’Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan, puis
incorporer l’Union eurasienne, celle-ci étant prévue pour 2015. Du point
de vue russe, cette partie géopolitique a une dimension historiale et
c’est ce que la crise ukrainienne, suivie de l’invasion de la Crimée, a
mis en évidence. En amont de cette crise, Poutine a exercé de très
fortes pressions et déclenché une « guerre commerciale » (été 2013).
C’est ensuite que les offres d’aide financière sont venues, pour faire
monter les enchères. Dans les jours précédant le sommet de Vilnius de
l’UE sur le Partenariat oriental (27-28 novembre 2013), le président
ukrainien Viktor Ianoukovitch, a fait savoir qu’il renonçait à l’accord
devant être signé avec Bruxelles. Quelques jours plus tard, il signait
avec Moscou un « partenariat stratégique », ultime étape avant l’Union
douanière. L’affaire semblait réglée par un « deal » entre
nomenklaturistes post-soviétiques, conformément aux pratiques du «
transimpérialisme ».
Il
faut ici revenir sur l’Union eurasienne. Celle-ci est parfois présentée
comme un simple projet de marché commun qui serait le cadre d’un
eurasisme pragmatique, à finalité économique et commerciale. Ce n’est
pas ainsi que Poutine et les « siloviki » envisagent les choses. L’idée
est celle d’une structure très intégrée, politiquement et
économiquement, centrée sur la Russie, dans une logique de puissance.
Sur le plan géographique, l’Union eurasienne couvrirait l’« étranger
proche » et elle serait l’expression politico-institutionnelle de cette
sphère d’influence que la Russie revendique (l’expression d’« étranger
proche » date de 1992). Finalement, ce « réunionisme » géopolitique vise
à donner forme à une sorte de nouvelle union soviétique, plus souple et
efficace que le modèle originel, et ce dans la droite ligne des idées
d’Andropov. Au plan mondial, Poutine cherche à reconstituer une force
d’opposition, pour faire de la « Russie-Eurasie » une tierce puissance,
entre le pôle américano-occidental et un incertain ensemble
sino-asiatique (Pékin n’a pas de réels alliés).
A
trop mépriser les gens, on commet des méprises. Poutine et Ianoukovitch
misaient sur l’apathie politique mais le réveil civique ukrainien a
contrarié le glissement du pays vers la « Russie-Eurasie ». Le tour pris
par les événements à Kiev doit en effet être compris comme une défaite
politique majeure de Poutine. Sans l’Ukraine, l’Union eurasienne
projetée resterait en-deçà d’une certaine masse critique et surtout,
elle y perdrait en sens et en perspectives. La Russie se retrouverait
dans une situation d’étroite proximité avec les pays en « stan » d’Asie
centrale, les équilibres ethniques, démographiques et religieux n’allant
pas dans le sens d’une identité slave-orthodoxe renforcée (notons ici
la contradiction entre le discours slave-orthodoxe, qui fascine le «
parti russe », et l’idéologie eurasiste). Faute de pouvoir contrôler
indirectement l’ensemble de l’Ukraine, Poutine s’est donc saisi de la
péninsule de Crimée. La question est de savoir si la Crimée est un point
d’arrivée ou le point de départ d’une entreprise plus large. Dans ce
dernier cas, l’étape suivante consisterait à provoquer des troubles dans
les parties orientale et méridionale de l’Ukraine, pour justifier
ensuite une intervention militaire. En proie à l’instabilité et au
chaos, le reste de l’Ukraine ne pourrait plus se tourner vers
l’Occident. Il est certain que la partie géopolitique n’est pas close,
ce conflit devant être analysé selon différents ordres de grandeur.
Ainsi les réactions au coup de force russe, au sein de la CEI
(Communauté des États indépendants) et de l’OCS (Organisation de
coopération de Shanghaï) devront-elles être suivies avec attention.
| Conclusion
En
conclusion, il doit être rappelé que l’Ukraine n’est pas un lointain
théâtre, mais un État à cheval sur l’Europe centrale et orientale, dans
une zone grise qui s’intercale entre l’ensemble UE-OTAN et la
Russie-Eurasie. Tout naturellement, la situation géopolitique présente
rappelle la Guerre froide. Certes, elle ne reproduit à l’identique cette
période de l’histoire, celle-ci devant être envisagée dans toute son
extension, de 1945-1947 à 1989-1991. Les rivalités géopolitiques et la
compétition stratégique se déroulent désormais dans un monde beaucoup
plus unifié et interconnecté, sur les plans économique, technologique et
écologique. De ce fait, les interdépendances sont denses et fortes.
Quand bien même le « monde multipolaire » est d’abord une construction
intellectuelle, il est vrai que la distribution de la puissance n’est
plus la même.
Pour
autant, la Guerre froide n’est guère éloignée de notre temps. Un quart
de siècle représente à peine une génération ce qui, à l’échelle de
l’Histoire universelle, constitue l’unité de sens minimale. Dans le cas
présent, ce sont les mêmes protagonistes qui, sur l’axe géopolitique
Est-Ouest, sont engagés dans une épreuve de force. Simplement, les
limites de l’affrontement sont désormais plus à l’Est. Cette crise
intervient au terme de longues années de « paix froide » entre la Russie
et l’Occident, le déni systématique des Occidentaux valant confirmation
de cet état de fait. Enfin, c’est bien en termes de guerre froide et de
revanche que Poutine pense et agit, imposant ainsi son « paysage mental
» aux décideurs occidentaux.
A
Moscou, les choses sont claires et les objectifs sont consciemment
poursuivis. Les protagonistes de cette crise ne sont pas les jouets d’un
malentendu, possiblement dissipé par on ne sait quel « dialogue » ou
psychothérapie de groupe. Depuis la guerre russo-géorgienne d’août 2008,
les visions et perceptions occidentales de la Russie, d’un pays à
l’autre, ont progressivement convergé. Les nuances ne portent pas sur le
diagnostic mais sur les réponses à apporter. Dans l’immédiat,
l’important est de renforcer les solidarités occidentales, de consolider
un front diplomatique élargi et de reprendre l’initiative. La
corrélation des forces est en faveur de l’Occident et, si la fermeté
prévaut, le reste suivra.
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