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mercredi 12 avril 2017

Un assistant parlementaire du FN payé 31.000 euros… pour un SMS

L’enquête sur les soupçons d’emplois fictifs du FN au Parlement européen fourmille d’exemples édifiants. Celui de Laurent Salles, assistant de Louis Aliot, en est un.

 Il est discret. Discret au sein du Parlement européen. Discret sur son blog, où il n’évoque jamais le député européen qui le rémunère pourtant environ 2.000 euros net par mois. Et discret jusque dans ses communications… Laurent Salles, assistant parlementaire du député européen Louis Aliot - le vice-président du Front national - de juillet 2014 à février 2015, n’a échangé qu’un seul SMS avec son "employeur" au cours de cette période. Hormis cet échange du 5 septembre 2014 à 14h38, aucun courrier, ni même aucun e-mail entre l’assistant et le député n’a été retrouvé par les enquêteurs.
Une discrétion "susceptible de caractériser la nature fictive de l’activité parlementaire européenne de Laurent Salles", écrivent les policiers de l'OCLCIFF (spécialisés dans la lutte contre la corruption et les infractions financières), chargés d’enquêter sur les soupçons d’emplois fictifs du FN au sein du Parlement européen.

S'ils ne se sont pas écrit... l'assistant et le député se sont peut-être parlé ? L'éloignement géographique des deux hommes ne semble pas avoir été propice aux échanges. Ainsi, les services du Parlement européen, qui ont tenté d'analyser les activités de l'assistant parlementaire, constatent que "l'adresse du lieu de travail [...] au siège du FN à Nanterre est très éloignée de la circonscription de M. Aliot" (Perpignan).
L’analyse de la "badgeuse" installée au siège du parti montre par ailleurs que, lors de sa dernière semaine de travail comme assistant parlementaire, Laurent Salles s'est présenté à Nanterre tous les jours entre 9 heures et 23 heures. Louis Aliot n’a été présent dans les locaux que deux journées au cours de ce laps de temps.

 Une vingtaine d'assistants soupçonnés d'emplois fictifs
Le cas de cet assistant parlementaire, employé avant et après cette période "européenne" par le Front national, est examiné comme une vingtaine d’autres dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en décembre dernier par le parquet de Paris, pour abus de confiance et recel, escroqueries en bande organisée, faux et usage de faux et travail dissimulé.

En 2015, le président du Parlement européen, Martin Schulz, avait saisi l'Olaf (Office européen de lutte contre la fraude) et le parquet de Paris, après avoir constaté que 20 des 24 assistants parlementaires frontistes figuraient dans l'organigramme du parti en France. Dans cette procédure, Marine Le Pen a refusé d’être entendue. Elle a également refusé de rembourser environ 300.000 euros, correspondant aux salaires versés à l'une de ses assistantes parlementaires, Catherine Griset, entre 2010 et 2016.
Ni Laurent Salles, ni Louis Aliot n’ont pour l’instant été entendus par la justice. Ils n'ont pas donné suite à nos sollicitations. Interrogé par le Parlement européen, Louis Aliot n’avait pas été en mesure de fournir des preuves du travail de son assistant au cours de ses huit mois de contrat : il a simplement indiqué que ce dernier "était en charge de son agenda".

Des contrats précis

Mais le règlement du Parlement européen concernant les assistants parlementaires est bien plus précis que celui de l’Assemblée nationale ou du Sénat. François Fillon a par exemple pu rester évasif sur le détails des activités de son épouse à ses côtés, car les contrats français ne comportent aucune liste précise de tâches dont les assistants doivent s'acquitter. Il laisse les mains libres aux députés. Le Parlement européen, lui, stipule expressément qu’un assistant parlementaire ne peut pas travailler pour un parti politique national au risque de créer un "conflit d'intérêts".
Et le contrat de travail doit préciser les fonctions de l'assistant parlementaire. Dans le cas de Laurent Salles, il est écrit que ce dernier est en charge de l'organisation de l’agenda du député, de la gestion des appels, des dossiers, de la préparation de discours, etc


Or, les enquêteurs ont découvert que Laurent Salles, rémunéré au total 31.000 euros pour ses fonctions au sein du Parlement, était en même temps conseiller municipal à Suresnes, s’était présenté aux élections cantonales en 2015, et figurait dans l’organigramme du FN comme assistant de Yann Maréchal-Le Pen, une des filles de Jean-Marie Le Pen, à la délégation générale des grandes manifestations du parti... Ils constatent également qu'en dehors de ces quelques mois au sein du Parlement, ce dernier a toujours été rémunéré par le parti de Marine Le Pen :
"Les investigations réalisées révélaient que Laurent Salles était déjà employé par le FN en tant qu’assistant sur la période allant du 9 septembre 2013 au 31 mai 2014 et de nouveau depuis le 1er mars 2015 pour un salaire brut mensuel de 2.560 euros, identique à son salaire d’assistant. Ainsi, son contrat d’assistant venait s’intercaler précisément entre ses deux contrats de travail pour le FN."

"Faire des économies"

A partir de plusieurs documents retrouvés lors des perquisitions menées au siège du FN, révélés par le journal "le Monde" et que "l’Obs" a pu consulter, les enquêteurs soupçonnent ainsi les cadres du parti d’avoir mis en place un système frauduleux d’emplois fictifs afin de réaliser des économies. Une note datée de juin 2014 retrouvée sur le bureau de Wallerand de Saint-Just, le trésorier du parti, stipule par exemple que le parti ne s’en sortira "dans les années à venir", "que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen".



Ce dernier effectue même des calculs très précis. Dans une autre note manuscrite, il calcule ainsi les gains réalisables pour le Front national (qui doit faire face à une inflation de ses dépenses) grâce aux salaires versés par le Parlement aux assistants parlementaires des élus :
"9 députés européens : 12 salaires à 4.000 = - 50.000 de salaires chargés"
 Puis, après les élections de 2014, chaque année, le trésorier fait une estimation des économies réalisées "grâce" à l'élection de députés européens. Elles s'élèvent à 1,2 million en 2015. Idem en 2016 puis en 2017.


A la suite de la révélation de ces documents, Wallerand de Saint-Just avait expliqué :
"Il n'y a jamais eu de système mis au point, nous n'avons jamais rien fait d'illégal, nous n'avons jamais voulu prendre le moindre centime au Parlement européen."
 
L'Obs

















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