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lundi 9 janvier 2017

Tourisme littéraire & fantasmes bobos : Sylvain Tesson bat la campagne

L'auteur de “Berezina” a sillonné la France en suivant des chemins de traverse. Il en a tiré un petit best-seller assez naïf.


Pendant des années, Sylvain Tesson s'est pris pour Tintin. Il a joué les aventuriers «entre Oulan-Bator et Valparaíso», a séjourné dans une cabane en Sibérie, a fièrement traversé la Russie sans rien voir. Puis il a fait une grande découverte: la France, ce pays qui lui semblait jusque-là si étriqué - si peu adapté à son «vaste appétit» comme dirait Baudelaire.

A vrai dire, le malheureux n'a pas tellement choisi sa destination. Son itinéraire d'enfant gâté a basculé quand, en une année, il a perdu sa mère, s'est «cassé la gueule d'un toit où [il] faisai [t] le pitre», a passé quatre mois à l'hôpital. Il en est sorti «la colonne cloutée de vis et le visage difforme».
Il fallait alors de l'énergie pour aller, à pied, du Mercantour à la Hague, mais Tesson a de l'énergie. L'effort physique ne lui a jamais fait peur. Les grands mots non plus. Il a donc suivi «les chemins noirs» d'une «géographie de traverse», «loin des routes», pour renouer avec «une France ombreuse épargnée par l'aménagement, qui est la pollution du mystère».
Traduction : il est parti en randonnée, une carte IGN sous le bras, pour «disparaître». Résultat: il publie un livre qui, entre quelques beaux paysages bucoliques, parle essentiellement de Sylvain Tesson et de son fantasme bobo d'une France champêtre de carte postale (très sépia, la carte postale).

"Salut, tu vas à la ville ?"

Quand Tesson voit un berger, il lui trouve forcément «l'allure d'un héros de Giono*» et lui dit: «Salut, tu vas à la ville?». Quand il croise des vaches, il leur «lance ses cris d'amour» et s'émerveille d'«obtenir parfois un long meuh en réponse». Quand il aperçoit un type bourré soutenu par sa femme, il applaudit «une vision charmante - si russe». Et partout, pelotonné dans son bovarysme, nostalgique de la merveilleuse époque médiévale, il se lamente des ravages du Progrès, «cette farce», sans s'aviser qu'au Moyen Age l'hôpital public ne l'aurait peut-être pas aussi bien rafistolé qu'aujourd'hui.
Comment peut-on déplorer avec tant de mépris que «la planète [soit] promue théâtre de la circulation générale des êtres et des marchandises», quand on a soi-même surjoué avec tant d'assurance le personnage du baroudeur sans frontière? C'est le genre de paradoxe que Tesson pourrait essayer d'explorer, mais non. Il est comme ça, Sylvain Tesson. Bourré de contradictions qu'il préfère ne pas affronter, pour affirmer tout et son contraire sur un ton péremptoire. Emporté par son talent, ce styliste doué aime le gâcher. C'est dommage.
Au fond, cet éternel Parisien est comme tous les touristes, un grand adolescent romantique qui rêve d'un univers immuable où chacun resterait à sa place, et que lui seul aurait le droit d'arpenter avec une poignée d'amis. C'est humain, comme réflexe, quand on voit ce que le XXIe siècle nous réserve. Quand on prétend disserter sur le sens de l'Histoire, comme le fait Tesson à chaque page, c'est un peu court.
Grégoire Leménager
Sur les chemins noirs, par Sylvain Tesson,
Gallimard, 146 p., 15 euros.

 (*) Pauvre Giono, sans cesse invoqué ici pour idéaliser la vie rurale, mais qui savait, lui, que la grandeur de cette vie-là n'exclut pas le tragique.


Bibliobs











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