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lundi 18 août 2014

Cheval de Troie

Dans l'article intitulé « Le jeu risqué de Moscou sur le sol ukrainien », Emmanuel Grynszpan commence en écrivant que « Les intentions de Moscou dans le dossier ukrainien sont de moins en moins lisible » (voir ici).
Il s'étonne de voir ces 280 camions russes peints en blanc stationnés à la frontière de l'Ukraine.


Je rappelle que l'objectif de Poutine est on ne peut plus clair, depuis le début de la crise.
1/ Il ne veut pas d'une Ukraine indépendante
2/ Il veut être le maître de la mer noire (les Mistrals lui seront d'ailleurs très utiles...). Cela a commencé avec l'annexion de la Crimée. Cela se poursuit dans l'est pour tenter d'établir un couloir (ce n'est pas le couloir de Dantzig mais le couloir du Donbass...). D'Odessa à Louhansk en passant par Donetsk, il est clair que les villes déstabilisées sont toutes liées à l'accès à la mer noire, et que la "jonction" avec la Transnistrie (territoire moldave déstabilisé, et contrôlé par les militaires et paramilitaires russes) est bien sûr voulue (d'où le "drame" organisé d'Odessa). Il suffit de regarder une carte, et les zones de conflits.

Les intentions de Moscou sont donc très lisibles : Poutine veut l'est et le sud de l'Ukraine.
Je suppose qu'Emmanuel Grynszpan s'interroge plus sur ces camions blancs.

Alors, je rappelle que depuis le début, Poutine utilise les techniques les plus connues :
1 Le Blitzkrieg pour l'annexion de la Crimée (que l'on peut parfaitement comparer à l'Anschluss, tant les éléments de ressemblance sont nombreux, n'en déplaise à De Benoist)
2 La propagande, copiée sur celle de Goebbels, avec une utilisation massive d'internet. Des millions ont été investis dans la guerre de l'information (cf Russie-Ukraine, d' Arjakovsky)
3 Le Divide et impera, « divise et règne » , de Machiavel. C'est ce qu'il tente de faire avec l'UE.
4 Le « Cheval de Troie ». C'est ce qu'il a tenté avec ces camions blancs. Souvenons-nous que la Russie a refusé que les camions passent dans les points de contrôles équipés de scanners. Pourquoi ? Souvenons-nous que les camions qui ont pu être inspectés étaient à moitié vide ou totalement vide. Etrange. Souvenons-nous que les conducteurs sont des militaires, qu'il y a deux conducteurs par camion ; cela signifie qu’il y aurait environ 500 hommes, des militaires qui pénétreraient dans le territoire ukrainien (voir l'entretien avec Annie Daubenton) . Souvenons-nous aussi que le convoi « humanitaire » a été doublé jeudi par 21 blindés et camions militaires, et que vendredi soir, un autre convoi massif composé de blindés transporteurs de troupes a pénétré en Ukraine
Les ukrainiens ne sont pas des idiots, et ont parfaitement compris la technique du Cheval de Troie.
La Russie ne pourra que se plier à l'inspection (préalablement, les camions auront évidemment été déchargés de la partie gênante de la cargaison).
Rappel (si cela était encore nécessaire) : Le "Premier ministre" séparatiste Alexandre Zakhartchenko a déclaré avoir reçu des renforts venant de Russie dans une vidéo diffusée sur YouTube vendredi. Il y affirme avoir reçu "150 pièces d'équipement militaire, parmi lesquelles 30 tanks et des blindés, et quelque 1.200 hommes qui ont reçu quatre mois d'entraînement sur le territoire russe", ajoutant qu'ils arrivaient "au moment le plus crucial".


Cela dit, il faut, aussi, se poser la question : Où est l'aide humanitaire de l'Europe? Car enfin. L'UE a tout de même signé l'accord d'association avec l'Ukraine, après des années et des années de tergiversation. L'Ukraine a, depuis longtemps, supprimé le visa d'entrée pour les ressortissants de l'UE. Le rapprochement entre l'Ukraine et l'UE est bien réel. Et l'une des grandes valeurs défendues par l'UE est la solidarité. Où est la solidarité avec l'Ukraine? La France est-elle solidaire avec ses partenaires de l'est, lorsqu'elle décide d'armer la Russie? L'UE fait-elle preuve de solidarité avec l'UE? Où est l'aide humanitaire de l'UE? Les longs discours et les signatures, c'est bien beau. Mais ce sont les actes qui comptent. Et les actes sont bien timides, que ce soit contre la Russie ou pour aider  l'Ukraine.





Le mythe du Cheval de Troie

Cet épisode est relaté brièvement par Homère dans l’Odyssée pour la première fois, son Iliade arrêtant la narration de la guerre de Troie aux funérailles d'Hector.
D'autre part, Virgile, qui a contribué à la popularité de l'épisode, en a fait l'objet de tout le livre II de l’Énéide, sous la forme d'un récit fait par Énée à Didon, reine de Carthage.

Après avoir vainement assiégé Troie pendant dix ans, les Grecs ont l'idée d'une ruse pour prendre la ville : Épéios construit un cheval géant en bois creux, dans lequel se cache un groupe de soldats menés par Ulysse. Un espion grec, Sinon, réussit à convaincre les Troyens d'accepter l'offrande, malgré les avertissements de Laocoon et de Cassandre. Le cheval est tiré dans l'enceinte de la cité qui fait alors une grande fête. Lorsque les habitants sont pris par la torpeur de l'alcool, la nuit, les Grecs sortent du cheval et ouvrent alors les portes, permettant au reste de l'armée d'entrer et de piller la ville. Tous les hommes sont tués, les femmes et les filles sont emmenées comme esclaves. Les enfants mâles sont tués eux aussi pour éviter une éventuelle vengeance.
Dans l'épisode du cheval de Troie, Ulysse, personnage devenu célèbre pour sa mètis (« intelligence rusée »), rend un conseil très apprécié dans la guerre de Troie à laquelle il participe. Ici il s'agit en fait d'une ruse. Elle se distingue de la tricherie mais aussi du délit (ou du crime) en cela que la ruse est autorisée par la loi ou les règles de l'usage, du jeu, de l'art, de la société, ou des accords internationaux. En l'espèce de l'art de la guerre chez les grecs, il s'agit plus particulièrement d'une ruse de guerre.

De cet épisode légendaire est née l'expression « Cheval de Troie », pour désigner les dons qui s'avèrent être des pièges pour ceux qui les reçoivent. On a aussi conservé l'expression latine « Timeo Danaos et dona ferentes» (« Je crains les Grecs et les cadeaux qu'ils apportent ») », c'est-à-dire « attention aux Grecs porteurs de cadeaux », mis dans la bouche de Laocoon dans l’Énéide (livre II v.49)





MAJ 28/08/2014 :

Les camions russes se sont donc précipités vers Donetsk sans l'aval de l'Ukraine ni de la Croix Rouge.
Comme par hasard, ce déploiement intervient alors que l'armée ukrainienne, après plusieurs semaines d'offensive réussie, avait repoussé les terroristes séparatistes jusque dans leurs derniers bastions
 Et comme par hasard, trois jours après on apprend que les terroristes séparatistes regagnent du terrain sur les forces gouvernementales. (Le Monde)

La Russie compte envoyer un deuxième "convoi de terroristes humanitaire" en Ukraine (La Tribune)



MAJ 08/09/2014

De Dantzig à Donetsk, 1939-2014

« Mourir pour Dantzig » Cette phrase symbolise l'attitude de l'Europe occidentale face à la guerre qui éclata il y a soixante-quinze ans. La France et le Royaume-Uni donnèrent à trois reprises le feu vert au dictateur allemand. Ni l'Anschluss, ni l'occupation des Sudètes, ni le démantèlement de la Tchécoslovaquie n'entraînèrent pour Hitler de conséquences sérieuses. Quand, le 1er septembre 1939, dans le prolongement du pacte germano-soviétique, les premiers tirs retentirent à Dantzig, les Occidentaux ne se résolurent qu'à une « drôle de guerre ». C'est ainsi qu'ils donnèrent à Hitler leur feu vert pour la quatrième fois, pensant que, au prix de la fin de Dantzig, ils sauveraient leur propre vie. La prochaine capitale à être occupée fut Paris, puis les bombes tombèrent sur Londres. C'est alors seulement que l'on se mit à crier : « Stop » et « Plus jamais ça ! »

Cette politique égoïste et à court terme des Européens face à l'agresseur ne peut plus se répéter. Or, la récente évolution du monde ressemble à l'année 1939. La Russie, Etat agressif, occupe une partie du territoire de son voisin ukrainien : la Crimée. L'armée et les services spéciaux du président Poutine, intervenant incognito, opèrent dans l'est de l'Ukraine, en soutenant les formations qui terrorisent la population et la menacent d'invasion.

NOUVELLE « OSTPOLITIK ».
Il y a cependant une nouveauté par rapport à 1939 : l'agresseur a réussi à attirer politiciens et hommes d'affaires, alors que ses partenaires occidentaux croyaient encore à son « visage humain ». Le lobby formé influence la politique de nombreux pays. On a parlé de Russia first (« d'abord la Russie ») et même de Russia only (« seule la Russie »). A présent, celle-ci s'est effondrée. L'Europe a désormais de toute urgence besoin d'une nouvelle Ostpolitik. Aussi lançons-nous à nos concitoyens et aux Etats européens un appel urgent.
François Hollande, président de la République française, se trouve devant la tentative de faire un pas qui serait bien plus grave que la passivité de la France en 1939. Dans les semaines à venir, la France est en passe de devenir le seul Etat européen à aider l'agresseur : Paris entend livrer à la Russie de M. Poutine deux navires porte-hélicoptères Mistral. Cette coopération a commencé en 2010 et à l'époque, déjà, des protestations s'étaient exprimées. Nicolas Sarkozy, le président d'alors, avait l'habitude d'y couper court en répétant « la guerre froide est finie ».
A présent, la guerre ouverte est bel et bien lancée, il n'y a donc aucune raison d'honorer les anciens engagements. Des politiciens et Bernard-Henri Lévy ont déjà proposé à la France de vendre ses navires soit à l'OTAN, soit à l'Union européenne (UE). Si M. Hollande ne change pas d'avis, les citoyens de l'Europe devraient l'en convaincre en boycottant les produits français.
Dès 1982, l'Allemagne (alors RFA) avait commencé à dépendre du gaz russe, malgré les mises en garde contre l'installation de nouveaux gazoducs, les qualifiant de potentiels « instruments de chantage ». Mais les Allemands, soit en raison du fameux complexe de culpabilité, soit croyant au « miracle économique russe », appréciaient la coopération avec Moscou. Tout ceci au nom d'une malheureuse tradition allemande, d'après laquelle, à l'Est, on ne discute qu'avec un seul partenaire, la Russie. Ainsi, des entreprises appartenant à l'Etat russe ou à ses oligarques se sont installées en Allemagne. Berlin devrait mettre un frein à ce genre de dépendance derrière laquelle se dissimulent toujours des pressions politiques. Tous les Européens et chaque pays à titre individuel devraient prendre part aux actions d'aide à l'Ukraine menacée. Des centaines de réfugiés de l'est de l'Ukraine et de Crimée ont besoin d'aide. Son économie a été rendue exsangue par des années de contrat aux conditions draconiennes avec le géant russe Gazprom qui est en position de monopole sur le marché énergétique. L'économie ukrainienne a besoin de nouveaux partenaires commerciaux.
Pendant de longues années, l'UE a fait comprendre à l'Ukraine qu'elle n'avait aucune chance ni d'en devenir membre, ni de bénéficier d'une aide autre que symbolique. La politique de « Partenariat oriental » n'y a pas changé grand-chose. Est-ce là un pis-aller ? Cependant, ces questions ont créé leur propre dynamique. Pour la première fois dans l'Histoire, les citoyens d'un pays périssaient sous les balles avec le drapeau européen à la main. Si l'Europe ne montre aucune solidarité avec eux, cela veut dire que les idéaux de liberté et de fraternité hérités de la Révolution française ne représentent plus rien pour elle.
L'Ukraine a le droit de défendre autant son territoire que ses citoyens et de répondre à une agression extérieure par l'intervention de ses forces de police et de son armée, y compris dans ses régions frontalières avec la Russie. Car aussi bien dans la région de Donetsk que dans le reste du pays régnait de 1991 à 2014 une paix stable. Vladimir Poutine, libérant les démons de la guerre et testant un nouveau type d'agression, transforme l'Ukraine en champ de manœuvres, à l'image de la guerre civile en Espagne. Ceux qui ne disent pas à M. Poutine No pasaran ! (« ils ne passeront pas ! ») exposent l'UE au ridicule tout en consentant à la déstabilisation de l'ordre mondial.
Personne ne sait qui dirigera la Russie dans trois ans. On ne sait pas ce qui adviendra de l'actuelle élite au pouvoir, responsable de cette politique aventureuse et contraire aux intérêts de son peuple. En revanche, on sait une chose: celui qui continue à faire du business as usual risque la mort de milliers d'Ukrainiens et Russes, l'exode de centaines de milliers de réfugiés ainsi que de nouvelles attaques de l'impérialisme poutinien contre de jeunes Etats. Hier Dantzig, aujourd'hui Donetsk, on ne peut admettre que l'Europe vive pour des années à venir avec une plaie ouverte qui saigne.
Gdansk, 1er septembre 2014
Les signataires de cet appel sont : Władysław Bartoszewski ; Jacek Dehnel ; Inga Iwasiów ; Ignacy Karpowicz ; Wojciech Kuczok ; Dorota Masłowska ; Zbigniew Mentzel ; Tomasz Różycki ; Janusz Rudnicki ; Piotr Sommer ; Andrzej Stasiuk ; Olga Tokarczuk ; Ziemowit Szczerek ; Eugeniusz Tkaczyszyn-Dycki ; Magdalena Tulli ; Agata Tuszyńska ; Szczepan Twardoch ; Andrzej Wajda ; Kazimierz Wóycicki ; Krystyna Zachwatowicz.
Traduit du polonais par Malgorzata Smorag-Goldberg
Le Monde 01/09/2014









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