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vendredi 11 avril 2014

Analyse de la crise ukrainienne, par Ioulia Shukan [+vidéos + entretien avec Dmytro Yaroch]

Ioulia Shukan est Maître de conférence à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, et Chercheur à l’Institut des Sciences Sociales du Politique.
Spécialiste de l’Ukraine, elle revient de son quatrième voyage à Kiev depuis le début de la mobilisation sur Maïdan. Elle nous livre son analyse de la situation, en trois vidéos :


1/ 
- Les  raisons de l’occupation de la place Maïdan,
- L’organisation sur place,
- L’escalade de la violence. 



2/  
- La diversité des groupes rassemblés à Maïdan, 
- La présence d’ultra-nationalistes,
- Le rôle joué par internet et les réseaux sociaux.



 3/
- Le rôle joué par l’Europe face à la pression russe, 
- L'importance de la Crimée,
- L'avenir de l’Ukraine.



Présentation des activités de recherche de Ioulia Shukan : isp  










Un entretien paru dans Le Monde en janvier 2014

Ukraine : « Il manque un projet politique à l'opposition »

ENTRETIEN. Depuis le 21 novembre, des Ukrainiens se relaient, place de l'Indépendance (aussi appellée « Maïdan ») à Kiev, d'abord pour demander que l'Ukraine signe un accord d'association avec l'Union européenne, ce que le pouvoir a refusé, puis pour réclamer le départ du président Viktor Ianoukovitch. Malgré une plus faible mobilisation en ce début d'année, un noyau dur de manifestants occupe toujours Maïdan. La politologue Ioulia Shukan, maître de conférences à l'université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense (Paris X), revient sur ces presque sept semaines de mobilisation.

Quel bilan tirer du mouvement EuroMaïdan, sachant qu'il n'y a pas eu d'avancées concrètes pour les Ukrainiens qui manifestent depuis le 21 novembre 2013 ?
Ioulia Shukan. C'est vrai que les revendications institutionnelles formulées au début du mouvement – démission du gouvernement et du président Viktor Ianoukovitch et élections parlementaires et présidentielle anticipées – n'ont pas été satisfaites. Il y a eu simplement quelques concessions du côté du régime avec le limogeage de trois personnalités responsables des violences à l'encontre des protestataires le 30 novembre. Quant à la demande de rapprochement avec l'Union européenne, celle-ci a été définitivement écartée avec la signature d'un accord financier avec la Russie le 17 décembre.
Malgré ces revers, sur la place de l'Indépendance à Kiev, le mouvement se maintient toujours et la dimension contestataire reste très présente. Et, surtout, on voit apparaître de nouvelles formes d'actions en dehors du site de Maïdan. On a vu se multiplier par exemple des déplacements vers les résidences des hauts fonctionnaires du régime, comme le 29 décembre à Mejiguiria, la résidence de campagne très luxueuse du chef de l'Etat. Il y a une transformation du mouvement vers des actions plus radicales ayant pour objet de mettre la pression sur le régime et ses soutiens.
La signature des accords financiers avec la Russie, le 17 décembre, a-t-elle été un coup de massue pour le mouvement EuroMaïdan ?
Non, car on a vu que le mouvement ne s'est pas essoufflé, et il y a encore eu de grands rassemblements les dimanches 22 et 29 décembre. La mobilisation n'est pas uniquement pro-européenne, c'est aussi un mouvement contestataire contre le régime mis en place par Viktor Ianoukovitch, contre ses pratiques telles que la corruption, l'affairisme autour de la famille présidentielle ou encore l'arbitraire de la police.
Mais, avec ces accords, M. Ianoukovitch peut se prévaloir d'apporter un répit économique à l'Ukraine, sans avoir à remettre en cause sa politique...
Les conditions fixées par le Kremlin sont certes plus souples que celles fixées par le FMI [dans sa proposition de crédit de 15 milliards de dollars à l'Ukraine]. Les trois conditions du FMI étaient très dures et auraient eu des conséquences sociales : augmenter les prix de l'énergie pour la population, dévaluer la hryvnia [la monnaie ukrainienne] et geler les salaires et les retraites.
Pour un chef de l'Etat qui brigue la réélection en 2015, il aurait été inacceptable de dégrader les conditions de vie de la population. De ce point de vue, l'offre russe est moins conditionnée, même si elle renforce la dépendance de l'Ukraine vis-à-vis de la Russie. Si on regarde les rabais sur les prix du gaz, la baisse de 30 % accordée par Moscou ne s'applique qu'au premier trimestre et sera ensuite revue tous les trimestres par le Kremlin. Si l'Ukraine se comporte en bon élève, le rabais sera maintenu, mais, dans le cas contraire, on reviendra au prix initial. Quant au crédit accordé par la Russie, dont 3 milliards de dollars ont été versés (2,2 milliards d'euros) sous forme d'achats d'eurobonds, c'est un crédit d'une durée de deux ans. A l'issue de l'échéance présidentielle de 2015, l'Ukraine devra rembourser sa dette.
Comment la société civile ukrainienne, qui s'est fait entendre ces dernières semaines, va-t-elle continuer à peser sur le débat politique dans le pays ?
La mobilisation a prouvé aux Ukrainiens qu'ils sont capables de se sacrifier, de donner de leur temps et de leurs biens pour se consacrer à une cause commune et défendre leurs droits. C'est la principale victoire et réussite du mouvement. Les citoyens ukrainiens se montreront dès lors plus vigilants à l'égard des actions de leurs gouvernants et certainement beaucoup plus exigeants.
En marge du mouvement, il y a aussi beaucoup d'initiatives citoyennes organisées, comme le groupe EuroMaïdan SOS, qui propose une assistance juridique aux personnes victimes de violences policières, ou encore les rondes de surveillance assurées par des automobilistes d'AutoMaïdan autour de la place  de l'Indépendance pour garantir la sécurité et le ravitaillement du site… Ces initiatives ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Elles prendront d'autres formes et donneront peut-être naissance à des associations, qui pèseront sur la vie politique ukrainienne.
Les partis politiques d'opposition, qui se sont ralliés aux manifestants de Maïdan, vont-ils tirer profit du mouvement ?
Pour l'opposition politique, la prochaine fenêtre d'opportunité institutionnelle est l'échéance de la présidentielle de mars 2015. L'objectif des dirigeants de l'opposition est d'inscrire le mouvement dans la durée et d'élargir la mobilisation, notamment à l'est et au sud du pays. Ces régions se sont moins mobilisées que l'ouest de l'Ukraine, mais elles comptent aussi beaucoup de personnes mécontentes du régime.
Une réflexion s'est par ailleurs engagée sur le fait de présenter un candidat unique à la présidentielle. Mais cette solution est difficile à mettre en œuvre en raison des divergences idéologiques très importantes entre les trois partis d'opposition [le parti Batkivchtchina, de l'ancienne première ministre Ioulia Timochenko ; le parti Oudar, dirigé par l'ex-champion de boxe Vitali Klitschko ; et le parti ultranationaliste Svoboda] ainsi que des ambitions personnelles de leurs chefs. D'ailleurs, les dernières déclarations laissent penser qu'il n'y aura pas de candidat unique au premier tour de la présidentielle. Enfin, ce qui manque aujourd'hui à l'opposition c'est un véritable projet politique pour l'après-Ianoukovitch afin que le changement politique – s'il advient en 2015 – ne se réduise pas à une simple alternance comme ce fut le cas en 2004, mais implique des changements bien plus importants du régime constitutionnel et des pratiques politiques.
















Dmytro Yaroch (chef du Secteur Droit) : Quand 80% de la population ne soutient pas le pouvoir la guerre civile est impossible



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