L'anschluss
putinien ne provoque guère d'émoi dans la mouvance patriotique française.
Un homme s'arroge
donc le droit d'annexer la Crimée à la Russie, de modifier
unilatéralement les frontières de l'Ukraine, et tout le monde ou
presque en France trouve ça normal ! De Zemmour à Marine Le
Pen, de Polémia à Réalpolitik, du forum du Figaro à celui du
Monde, il y a comme de la Poutinolâtrie dans l'air. Quant à moi, la
contagion russophile me laisse perplexe. C'est terrible à dire, mais
sur ce coup, je trouverais presque Flamby sympathique*.
Alors, la Russie,
ce serait ça, le nouveau modèle qu'il faudrait choisir pour
« remplacer » celui de l'Occident décadent ? Non,
merci.
N'en déplaise à
Monsieur Zemmour, Poutine n'est pas qu'un patriote. C'est aussi un
expansionniste. C'est là que le bât blesse. Par l'annexion de la Crimée, il entre en guerre
contre d'autres patriotes : les patriotes Ukrainiens. Ces
derniers, apparemment, ne sont pas dignes d'intérêt. L'ogre russe
ferait-il si peur que l'on n'ose le critiquer (ou si mollement) ?
C'est compréhensible de la part de nos gouvernants, étant donné
l'état de déliquescence de nos forces armées.
Mais z'enfin, de
la part « d'esprits libres », je m'étonne d'une telle russophilie. Ce qui serait valable pour la Syrie, la Lybie ou
l'Irak, à savoir la condamnation de l'agression d'une puissance
étrangère envers une nation souveraine ne le serait pas pour
l'Ukraine ? Ce qui est dénoncé à juste titre lorsque l'OTAN
est l'agresseur devrait être pardonné lorsque la Russie est
l'agresseur ! Et pourquoi ? Parce qu'il faudrait
automatiquement se placer pour ou contre l'OTAN, pour ou contre la
Russie ? Il n'y aurait qu'un choix binaire ? Le monde
pourtant devient multi-polaire. Il faudrait ignorer l'Ukraine
uniquement par détestation de l'Amérique ? L'alternative à
Obama et Hollande, ce serait approuver Poutine quelles que soient ses
actions ? Mais quel manque de fierté ! Quel esprit de
soumission !Quel manque de foi en une Europe puissante et
indépendante vis-à-vis du bloc Russe ou Américain.
Alors il faudrait
laisser la Russie agir à sa guise, et il faudrait, nous, européens
véritables, se désolidariser de l'Europe de l'est, laisser tomber
l'Ukraine, la Pologne, la Lituanie, la République Tchèque, la Slovaquie... (tous ces pays qui,
rappelons-le, faisaient partie de l'Union Soviétique, et qui
aujourd'hui condamnent sans réserve l'invasion russe) ?
Non, merci.
Que Poutine
devienne nostalgique des frontières de l'Union des Républiques
Socialistes Soviétiques, c'est une chose. Que les patriotes français
soient si unanimement amorphes devant cette actualité (Michel
Geoffroy écrivait même, dans Polémia, un article intitulé « A Kiev, rien de nouveau ! ». Il fallait oser...), voilà qui
est bien décevant. Il n'y aurait que des considérations mercantiles à attendre des patriotes français? La formule « Patriotes de tous les pays,
unissez-vous ! », n'est-ce qu'une coquille vide ?
Même sans aller jusqu'à tous les pays du monde, on aurait pu penser
qu'à minima, pour ce qui est de l'Europe, il puisse y avoir quelques
personnalités qui n'oublient pas cette belle idée de patriotisme.
Cela ne serait pas valable pour l'Ukraine ? Mais je suis un peu
injuste : quelques patriotes ne le sont pas, amorphes. Certains
n'ont pas abandonné cet idéal d'une « Europe puissance »,
quand bien même celle-ci semble si loin de la réalité des forces
en présence. Et quoi ? Ce n'est pas parce qu'un combat semble
perdu qu'il ne faut pas le mener.
CONCLUSIONS :
Sur l'Ukraine
en particulier :
- Dénoncer
l'invasion militaire de l'Ukraine par la Russie
- Soutenir autant
que possible les patriotes Ukrainiens (qui ne se reconnaissent pas dans
une UE cosmopolite et décadente). Cela est assez difficile car ils
ont contre eux à la fois la Russie et l'UE, et cumulent cela avec le
désintérêt de nombreux patriotes français (apparemment les considérations mercantilistes ont de beaux jours devant elles).
- Constater que
les patriotes ukrainiens ont combattu aux côtés des ukrainiens
partisans de l'UE à Maïdan.
- Par conséquent,
et en absence d'un autre choix : soutenir l'UE, temporairement
et uniquement sur cette question Ukrainienne, à condition toutefois
qu'elle ne se déclare pas « ennemie des patriotes
Ukrainiens ». C'est ce qu'on appelle une alliance de
circonstance...
- Ce dernier choix
a aussi l'avantage d'afficher sa solidarité avec les pays européens
qui se sont libérés du joug communiste (Pologne, Lituanie,
République Tchèque...) et qui condamnent fermement l'agression de
la Russie poutinienne envers l'Ukraine.
Sur l'Europe en
général :
Peut-être
serait-il temps, si l'on souhaite une Europe européenne,
indépendante des Etats-Unis et qui n'aurait pas à trembler devant
une Russie expansionniste, de prendre conscience que :
- Sur le plan
énergétique : le gaz russe ne doit pas être une arme de
soumission massive ! « La dépendance de l'Allemagne au
gaz Russe menace la souveraineté de l'Europe » déclarait le
premier ministre polonais. Il faut diversifier les sources
d'approvisionnement (comme le fait la France : gaz provenant de
Russie, mais aussi de Norvège, d'Algérie, etc), diversifier les
types d'énergie utilisées (l'énergie renouvelable est largement
insuffisante, il faut utiliser l'énergie nucléaire), investir en
R&D.
- Sur le plan
militaire : pour peser en matière internationale, les discours
et les bons sentiments ne suffisent pas. Poutine ment comme il
respire, mais il agit et il a les moyens d'agir. Une armée puissante
est un élément de dissuasion. Mais une armée coûte cher ; il
est illusoire de croire que la France, seule, retrouvera son éclat
passé. Il faut donc : 1/ renforcer la coopération militaire
entre pays européens 2/ Arrêter toutes les dépenses inutiles ou
destructrices (notamment toutes celles liées de près ou de loin à
l'immigration) 3/ Rétablir le service militaire obligatoire (que
Chirac a supprimé).
- « L'Europe
puissance » nécessite aussi plus de solidarité entre ses
membres : on observe sur la carte ci-dessous que les pays
européens sont loin de partager la même position.
- Aux
américanophobes qui croient être russophiles, posez vous les
questions suivantes : pouvez-vous citer 10 acteurs américains ?
10 acteurs russes ? 10 chanteurs ou groupes américains ?
10 chanteurs ou groupes russes ? Pouvez-vous lire un mot en
Russe (si vous ne connaissez pas l'alphabet cyrillique) ?
Pouvez-vous lire un mot (même si vous n'en comprenez pas la
signification) en anglais, en allemand, en lituanien, en roumain ?
Avez-vous déjà vu une série TV russe ? Avez-vous déjà
entendu de la variété russe ? Difficile pour ce qui concerne
le Russe, n'est-ce pas? Et demandez-vous pourquoi.
- Enfin, je
voudrais dire ceci :
Une Ukraine
ukrainienne n'est pas une Ukraine sous la coupe de l'UE ou des USA
Une Ukraine
ukrainienne n'est pas non plus une Ukraine sous la coupe des Russes
Une Ukraine
ukrainienne dans une Europe européenne, c'est une Ukraine
souveraine, indépendante, libre, dont les frontières sont reconnues
et respectées. On peut penser que les patriotes Ukrainiens sont
trop radicaux, certes. Et pourtant, ce n'est pas avec des enfants de
choeur qu'on résiste à un impérialiste.
Ce qui compte,
c'est l'Idée européenne seulement. Non pas un prétexte sentimental
ou mercantile, mais une idée et une foi désintéressée en elle,
quelque chose, en un mot, à exalter, à admirer.
Pierre Aron
Carte reproduite depuis le site Huffingtonpost
* On ne peut que le suivre lorsqu'il déclare : "Il ne peut y avoir de référendum sur l'avenir de la Crimée "sans que l'Ukraine elle-même n'ait décidé de l'organiser", a déclaré vendredi le président François Hollande, rejetant ainsi la consultation annoncée pour le 16 mars par les partisans du rattachement de la péninsule à la Russie." (Huffington post 07/03/2014)
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